Avec des enseignants à poil (et de mauvais poil) sur un calendrier ou dans le quotidien trivial, l’école est en mauvaise santé. Entre une maternelle que la droite veut supprimer depuis toujours et une Université de plus en plus coupée de la réalité, l’élémentaire et le secondaire sont saignés par le trio Sarkozy-Fillon-Chatel, qui veulent faire croire que le nombre d’enseignants n’a rien à voir avec un enseignement de qualité. On en rirait si ce n’était grave.
Plus surprenant est le silence général des fonctionnaires de l’Éducation nationale, souvent titulaires donc théoriquement courageux, sur une question peu abordée publiquement: la ségrégation sociale et les troubles familiaux que génèrent les devoirs à la maison ou de vacances, dans un enseignement qui mène une existence autonome.
Cette question comporte des préalables. Si l’on estime que la vie scolaire ne doit pas servir de propédeutique aux rythmes de la vie suivante, on arrête là. Ceux qui pensent que l’égalité des chances est une foutaise peuvent aussi partir.
Aujourd’hui, environ 26 millions de Français sont salariés. Sauf les enseignants et les cadres vus par Laurence Parisot ou France Telecom, ils rapportent rarement du travail à la maison. Élèves et étudiants y sont contraints. Le font-ils ? C’est selon. Cette pratique les prépare-t-elle à une activité professionnelle ? À part ceux qui restent à l’école toute leur existence, la réponse est non. Pire encore est l’apprentissage d’un rythme de travail adulte de 35 heures (environ) sur cinq jours avec six semaines de congés annuels, quand on a été soumis, pendant 15 ans ou plus, à une (dé)formation où le travail, les vacances, le découpage hebdomadaire n’ont rien à voir avec la suite. On citera pour mémoire les sauts sans parachute du passage en 6e et de l’arrivée dans des facs surpeuplées sans orientation cohérente ou simplement compétente.
CHANGEMENT SOUS CONDITIONS
Ne jamais avoir fini, vivre quotidiennement dans l’attente du contrôle des connaissances ne reposant que sur son propre effort, est épuisant. C’est aussi injuste. De fins observateurs diront qu’entre le bureau personnalisé Mac ou PC de Pierre-Adhémar Poinceau-Dupuits, qui jouxte la chambre du jeune CM2 dans le pavillon du Vésinet, et la table de cuisine légèrement graisseuse où Nassera Ben Messaoud s’exerce au subjonctif à proximité de son lit superposé, il existe une différence. Ils noteront peut-être que la capacité des parents de Nassera à aider leur fille dans ses travaux n’est pas la même que celle des géniteurs de Pierre-Adhémar. Les statistiques d’accès aux études supérieures par csp le confirmeront sans pitié. Il ne faut donc pas être grand clerc pour dire que les devoirs à la maison sont fondés sur une double inégalité sociale: les conditions de travail et le niveau culturel familial.
Pourrait-on se contenter des heures de classe pour acquérir les connaissances nécessaires à l’épanouissement intellectuel et à des activités professionnelles intéressantes ? Oui, à condition de changer la donne dans plusieurs domaines.
D’abord, le temps imparti au long de l’année. Les variations perpétuelles des experts en rythmes scolaires devraient s’appuyer sur une évidence : ce n’est pas à l’école de dicter l’emploi du temps de tout un pays à tout moment. Moissons et foins n’ont plus besoin des enfants en été. Congés, week-ends, zones régionales doivent trouver un modus vivendi compatible avec toute la population, n’en déplaise à l’industrie du tourisme. La garde et la visite des enfants passées à la moulinette des diktats de l’école mettent à la torture des centaines de milliers de parents séparés, leurs descendants aussi. Regardons également si 35 heures de travail par semaine, tout compris, avec six semaines de congés (ou plus) par an, ne représentent pas des allègements d’horaires pour enfants et enseignants.
Ensuite, le ratio élèves/enseignants, entourage compris. 20 élèves par classe sont une limite acceptable, mais intangible, et dire que Luc Chatel est un âne ne constitue pas une découverte. Que fait-on en classe ? Aux « professionnels de la profession » de trouver l’équilibre entre exercices de l’esprit et du corps, détente, éveil, socialisation, découverte de l’environnement et des techniques, etc.
ENSEIGNANT, RÉVEILLE-TOI !
Faut-il une aide spécifique pour ceux qui comprennent moins vite que les autres, et que les devoirs à la maison ne font qu’enfoncer ? Certes. Les enseignants doivent-ils l’assurer ? Parlons-en avec eux ! Il va de soi que les enseignants en question doivent être bien formés (que sont IUFM devenus ?), bien payés, bien entourés socialement (rendez-nous les RASED et les emplois-jeunes de Jospin, qui n’avaient pas que des défauts !), et que les chefs d’établissement gagneraient, comme leurs collègues, à en rabattre un peu devant la naïveté ou l’ignorance de certains parents d’élèves, dont le credo est « J’veux qu’mon enfant réussisse… » en suppliant l’instit ou le prof de l’abrutir de boulot.
Enfin, tordons le cou aux canards financiers. Dire que la Sécurité Sociale ou l’Éducation nationale sont en déficit, est idiot. Le coût d’un macchabée militaire en Afghanistan et d’un missile en Libye est nettement supérieur à celui d’un enseignant bien payé, calculette en main. Il est donc inutile d’accueillir à l’école de vieux répétiteurs bénévoles dont le seul mérite est d’avoir appris à lire avant la 2e guerre mondiale, et qui s’ennuient dans leur club de scrabble.
Au fait, qu’en pensent les parents d’élèves et les enseignants ? C’est curieux, je ne les entends pas. Les syndicats sont en grève d’idées ?
Gilbert Dubant
Illustrations empruntées à l'AFEV
(Association de la fondation étudiante pour la ville)