Une paire de journalistes qui se fait serrer par la police, 40 000€ en poche, au sortir d’une rencontre avec un représentant du trône Marocain ; un avocat médiatique défenseur de Mohammed VI qui suggère une piste terroriste dans un chantage ; une presse courtisane au Maroc qui en profite pour tenter de discréditer toute critique du Maroc et de son souverain ; et l’avocat d’une prévenue qui subodore un coup monté : l’affaire du chantage au roi !
Voilà donc deux journalistes : Eric Laurent, 69 ans, qui a une assez longue carrière derrière lui (Le Figaro, France Culture entre autres, et quelques livres d’investigations), Catherine Graciet, une freelance, mais qui a notamment écrit, avec le journaliste Nicolas Beau, La Régente de Carthage. Main basse sur la Tunisie, révélations épineuses sur le clan Trabelsi en Tunisie et notamment sur la femme de l’ancien président Ben Ali, tous deux impliqués dans une rocambolesque histoire de chantage du roi du Maroc, Mohammed VI, dit M6 !
Eric Laurent, pour avoir écrit Mémoire d'un Roi, livre d’entretien avec Hassan II (1993), donc bien introduit au palais, n’est pas le perdreau de l’année quant aux arcanes de la cour marocaine. Mais depuis ce livre, qualifiée d’hagiographique par Dupond-Moretti, il a commis, avec justement Catherine Graciet, « Le roi prédateur ». Le titre indique qu’il n’est pas vraiment laudateur : comment Mohammed VI a fait du Maroc sa machine à cash, écrira Marianne ; et L’Express ne sera pas plus tendre en titrant Maroc Pour Mohammed VI seules comptent les affaires ; El País pour en avoir publié les bonnes feuilles (en espagnol) verra son n° interdit dans le royaume.
Donc, si l’on en croit Dupond-Moretti, avocat appointé par sa Majesté le roi du Maroc, nos deux prétendus journalistes mais authentiques racketteurs – de son point de vue – auraient voulu faire chanter son client. Moyennant la modique somme de 3 millions d’euros, ils renonçaient à publier la suite du Roi prédateur, programmée par les éditions du Seuil en janvier ou février 2016.
L’affaire aurait été amorcée par un coup de fil de Laurent au cabinet royal le 23 juillet 2015. Mais, toujours d’après l’avocat du roi, la plainte royale devant la justice hexagonale n’aurait été déposée que la semaine dernière. En accord avec la police française, la souricière s’est mise en place. Rendez-vous fut pris en France entre l’envoyé du palais et les maîtres chanteurs. Après discussion de marchands de tapis, transaction (fictive, bien sûr) se fit sur 2 millions ; les voyous, contre signature d’un engagement de ne rien publier, reçurent le misérable acompte de 40 000 € chacun.
Tout cela enregistré et filmé, comme dans une série télévisée. Et Laurent et Graciet de se faire coffrer à la sortie.
Que Maître Dupond-Moretti, qui n’est pas lié par le secret de l’instruction, nous conte, avec la plaisante morgue qui le caractérise, tous ces épisodes qu’il tient de son client, soit. Mais là où pointe comme l’ombre d’un doute c’est quand il évoque l’hypothèse que le supposé chantage serait lié au terrorisme, avec cette hypocrite esquive, quand on lui demande de préciser, qu’il réserve la primeur des éléments en sa possession au juge d’instruction.
Puisque l’avocat royal donne dans la complotite, allons-y !
A qui profite le crime ? est une question rituelle.
La Vie éco, journal marocain des plus courtisans, nous donne une piste quand il conclut son article sur l’affaire par “au-delà de son côté rocambolesque, l’histoire renseigne en tout cas sur les pratiques de certains milieux journalistiques en France : comme on réclame de l’argent pour ne pas publier, on peut aussi écrire et publier des articles ‘commandés’ contre des espèces sonnantes et trébuchantes”. “En somme, [il existe] des mercenaires de la plume auxquels font probablement appel les milieux français ‘hostiles’ à ce Maroc qui les dérange par ses positions toujours transparentes et légalistes. Maintenant que ces milieux sont démasqués, on comprend un peu mieux comment s’organisent épisodiquement ces campagnes médiatiques acharnées contre le Maroc, ses institutions et son roi…”.
Autrement dit, cette affaire, pour avérée qu’elle soit, va permettre de discréditer tout article, émission, livre, etc. un tant soit peu critique sur le transparent et légaliste Maroc et son roi !
Complot contre complot, l’hypothèse de l’avocat de Catherine Graciet, Me Eric Moutet, qui, lui, n’a pas eu accès au dossier, que tout cela sent le coup monté, n’est pas totalement à écarter. Au moins aussi crédible que celle de la complicité terroriste des deux journalistes.
Eric Laurent a beau tenter de faire passer l’affaire comme étant, de son point de vue, quand il répondait, prétend-il, à une proposition du Palais, une transaction privée, il a fait preuve de vénalité (et encore plus de sottise). Maître-chanteur ou corrompu potentiel, alternative peu honorable.
En revanche, quand Maître Eolas, l’accuse de xénophobie
Maitre Eolas ✏️ @Maitre_Eolas
Très classe la défense d'Eric Laurent. Un poil xénophobe, les marocains apprécieront. https://youtu.be/7R2jhjZBTJE?t=1m33s …
il pousse peut-être la confraternité corporatiste avec Me Dupond-Moretti un peu loin. Certes le prévenu quelque peu courroucé par les réquisitoires de l’avocat du palais prétend qu’il ne se comporte plus en citoyen français mais en sujet marocain, mais l’opposition est entre citoyen et sujet. En bref, à tort du point de vue de Me Eolas, à raison du sien, il reproche au médiatique avocat son zèle courtisan.
Reste que la stupidité cupide et inversement du journaliste alimente des thèses complotistes au Maroc – le grand satan n’étant pas les USA mais l’Algérie – et va permettre de discréditer toute approche un peu critique de la situation marocaine.
commenter cet article …